L’avènement de la démocratie multipartite, au début des années 90, a été accueilli avec un espoir de voir les États entrer dans l’ère de la bonne gouvernance, du développement économique et social au bénéfice des populations. La conquête des libertés démocratiques a servi de tremplin à l’éclosion et au foisonnement des partis politiques. Cependant, le Mali traverse présentement une transition, après un troisième coup d’État militaire depuis 1991. Pendant ce temps, les partis politiques ont bénéficié annuellement d’un financement public dont le montant dépend de celui des recettes fiscales annuelles. Le montant de 2019 est 2 953 996 250 FCFA, que les partis politiques n’ont jamais perçu, jusqu’à leur dissolution (13 mai 2025). En 2019, 85 partis politiques remplissaient les conditions pour être éligibles (Sources: ex Délégation Générale aux Élections). Le montant cumulé de financement des partis politiques de 2001 à 2019 est de 28 933 848 944 FCFA.
Dans l’effervescence de l’avènement de la démocratie pluraliste, plusieurs partis politiques ont vu le jour. Au Mali, c’est la loi n°05-047 du 18 août 2005, portant Charte des partis, qui fait référencé. Cette loi définit les formations politiques comme « des organisations de citoyens unis par un idéal, prenant la forme d’un projet de société, pour la réalisation duquel ils participent à la vie politique par des voies démocratiques ». Selon le législateur malien, la vocation des partis politiques consiste à mobiliser et éduquer leurs adhérents, à participer à la formation de l’opinion, à concourir à l’expression du suffrage, à l’exercice du pouvoir et à encadrer des élus.
Depuis des décennies, la faillite de l’État malien s’est manifestée par son incapacité à préserver l’ordre, à garantir la sécurité de la population, à normaliser les relations sociales ou encore l’absence d’un contrôle minimal de son espace politique et économique. Au Mali, on a assisté à une chute vertigineuse de la gouvernance sécuritaire, conséquence de la mal gouvernance politique. Cette faillite de l’État s’est manifestée aussi par une occupation systématique des zones du territoire par des groupes extrémistes violents et mobiles sur le territoire, qui pillent, tuent, brûlent, séquestrent, violent, sans discernement.
Au même moment, les forces de défense et de sécurité (FDSM) sont aux prises avec la folie meurtrière des terroristes. Cette absence prolongée d’un contrôle adéquat de l’espace politique et économique a été un terreau fertile aux activités illicites en tous genres : trafics de drogues, d’armes et d’êtres humains. Le respect de l’État de droit sur l’ensemble du territoire national est devenu une chimère.
Les régions du Sahel, du fait qu’elles sont les moins nanties en termes de personnels qualifiés et d’infrastructures éducatives, sanitaires et routières, sont devenues des épicentres du terrorisme. Les terroristes surfent sur la mal gouvernance, les inégalités sociales, les injustices, la misère ambiante, l’absence de l’État, la terreur et la peur pour faire basculer une bonne partie des fils de ces localités dans l’extrémisme violent. C’est le cas dans plusieurs localités du nord et du centre du Mali, selon des enquêtes réalisées par la CENOZO en septembre 2021 sur le Mali, le Niger et le Burkina-Faso.
La faillite de l’Etat
Plusieurs parties de notre pays sont devenues des no man’s land avec des infrastructures détruites, les services sociaux de base rasés, inexistants et les populations déplacées ou réfugiées.
Cette impuissance des pouvoirs publics face au dépérissement de l’influence de l’État et de sa souveraineté sur son territoire n’exonère pas les partis politiques, qui gouvernent ou qui ont gouverné, qui siègent ou qui ont siégé à l’Assemblée Nationale, aux postes électifs et de nomination depuis l’avènement de la démocratie.
Les formations politiques ont une lourde responsabilité dans l’état de la nation, eu égard au rôle (missions) que leur confèrent la Constitution et la Charte qu’ils n’ont pas honoré. En conséquence, nombreux bras valides maliens ont préféré braver l’hostile Sahara ou les vagues meurtrières de la mer pour des destinations européennes incertaines. D’autres restés au pays ont été des laissés pour compte, sans lendemain.
Les pays du Sahel, notamment le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ne doivent pas manquer de moyens, des ressources matérielles et financières pour assurer la sécurité, mais la défaillance est venue du politique, incapable de garantir cette sécurité qui est pourtant un devoir constitutionnel.
Ressources financières des partis politiques
Selon l’Article 21 de la Charte des partis au Mali, « Les ressources financières des partis politiques sont constituées d’une part de ressources propres et d’autre part de dons, legs, libéralités et subventions ».
« Les partis ne peuvent recevoir des dons et legs provenant des sociétés commerciales, industrielles et de services », dispose l’article 23 de cette même Charte. Le montant cumulé des dons, legs et libéralités ne doit en aucun cas dépasser 50 % du montant total des ressources propres du parti politique et doit faire l’objet d’une déclaration adressée, à la clôture de l’exercice budgétaire, au ministre chargé de l’Administration territoriale, précise l’article 24. « Tout parti politique doit tenir une comptabilité régulière et un inventaire de ses biens meubles et immeubles conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Les documents et pièces comptables doivent être conservés pendant dix ans au moins… », selon la Charte.
Les partis politiques sont tenus de déposer au plus tard le 31 mars de chaque année, leurs comptes annuels de l’exercice précédent auprès de la Section des comptes de la Cour suprême. Cette juridiction établit au plus tard le 31 décembre de l’année en cours, un rapport annuel de vérification des comptes de l’exercice précédent qui est rendu public. La vérification peut s’étendre à toutes les structures du parti, indique la Charte.
Au Mali, les partis politiques coûtent annuellement à l’État l’équivalent de 0,25% des recettes fiscales sur la base des dispositions de la loi 00-045 du 07 juillet 2000 modifiée par la loi N°05-047 du 18 août 2005, portant Charte des partis politiques au Mali.
Ainsi, l’État malien a accordé aux partis politiques 3 374 442 789 en 2018; 2 695 491 280 en 2017; 2 236 337 114 en 2016 (source document ex-Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali).
La nécessité du financement public des partis politiques saute à l’œil, quand on sait qu’on ne peut pas construire une démocratie véritablement représentative et fiable sans partis politiques. Aussi est-il important de mettre les partis politiques à l’abri des sources de financement illicites. Il faut à tout prix éviter que des groupes criminels et mafieux financent les partis, avec comme conséquence, de contrôler politiquement le pays. En outre, l’essentiel de ce financement devrait être consacré à l’éducation citoyenne. Ce qui n’a jamais été le cas, les partis politiques partageant cette responsabilité avec les gouvernements successifs.
La clé de répartition de l’aide publique
Selon l’Article 29 de la Charte des partis politiques au Mali « …Le montant annuel des crédits affectés au financement des partis politiques est divisé en quatre fractions : une première fraction égale à 15 % des crédits est destinée à financer les partis ayant participé aux dernières élections générales législatives ou communales ; une deuxième fraction égale à 40 % des crédits est destinée à financer les partis politiques proportionnellement au nombre des députés ; une troisième fraction égale à 35 % des crédits est destinée à financer les partis politiques proportionnellement au nombre des conseillers communaux ; une quatrième fraction égale à 10 % des crédits est destinée à financer les partis politiques proportionnellement au nombre de femmes élues à raison de 5 % pour les députés et 5 % pour les conseillères communales ».
Critères d’éligibilité au financement
L’Article 30 de la Charte des partis politiques au Mali, indique: « Les obligations des partis politiques éligibles à ces différentes subventions sont les suivantes : justifier la tenue régulière des instances statutaires du parti; disposer d’un siège national exclusivement destiné aux activités du parti distinct d’un domicile ou d’un bureau privé; disposer d’un compte ouvert auprès d’une institution financière installée au Mali ; tenir un inventaire annuel des biens meubles et immeubles et présenter les comptes annuels à la Section des comptes de la Cour suprême…». La production de faux bilans par tout parti politique entraîne la perte du droit au financement public pour l’année suivante, sans préjudice de poursuites judiciaires.
L’état des lieux de l’aide publique aux partis
Au Mali, le montant global annuel du financement des partis politiques dépend du montant des recettes fiscales annuelles. Le montant de 2019 est 2 953 996 250 FCFA, que les partis politiques n’ont jamais pas perçu, jusqu’à leur dissolution. En 2019, 85 partis politiques remplissaient les conditions pour être éligibles (Sources: ex Délégation Générale aux Élections). Le montant cumulé de financement des partis politiques de 2001 à 2019 est de 28 933 848 944 FCFA.
Ce qu’on déplore aujourd’hui est que l’aide aux partis politiques n’a pas permis de former les citoyens, d’asseoir et de défendre les valeurs constitutionnelles de la démocratie et la République. Pendant que les partis sont financés, des actes se multiplient pour affaiblir l’autorité de l’Etat et déstabiliser. Les partis politiques sont censés utiliser le financement public pour la formation, l’éducation, l’information et la mobilisation de leurs militants ; payer les frais de location de leur siège, faire face à leurs charges de fonctionnement, leurs manifestations politiques, leurs activités politiques de terrain et de campagnes électorales etc.
Il y avait sans doute nécessité de revoir les critères d’attribution et de les étendre au financement de la campagne électorale, car il serait très intéressant de savoir d’où proviennent les fonds de campagne et permettre à la section des comptes d’auditer les fonds des campagnes des partis politiques. Si l’origine est douteuse, elle peut être une source de blanchiment, une source d’enrichissement illicite. L’Etat devrait être regardant sur l’origine des fonds des campagnes électorales.
Trempés dans la faillite de l’État
Il y a eu des insuffisances majeures, des tares qui ont dévoyé la démocratie malienne, des déviations qui ont dénaturé cette jeune démocratie, la vidant de sa substance et dans lesquelles sont trempés les partis politiques: la réduction de vie démocratique en périodes électorales, l’absence de contrôle parlementaire efficace de l’action gouvernementale.
Les menaces, appâts du gain des partis au pouvoir ont semé dans les esprits de nos compatriotes, des comportements serviles et inappropriés, et dénaturé la démocratie malienne, la vidant de sa substance. Le nomadisme politique des acteurs, mutant de l’opposition au pouvoir en dehors des élections, pour composer à tout prix avec le prince du jour, a dénaturé le sens des groupes parlementaires. Il y a des changements à apporter à la vie politique et démocratique du pays.
La mission éducative et de formation des partis politiques est une mission qui n’a pas été une priorité pour les partis, notamment les plus importants, ceux qui ont exercé le pouvoir. Ils se sont réduits à la conquête du pouvoir et sont devenus uniquement des machines électorales, note un responsable de parti. Les autres partis ont suivi cet exemple ainsi que les citoyens. Au même moment, des responsables publics se sont de plus en plus vautrés dans les détournements, l’enrichissement illicite et d’autres pratiques néfastes, souligne-t-il. Ainsi, dans un cercle vicieux, depuis plusieurs décennies, notre pays s’enfonce dans les mauvaises attitudes de responsables qui entraînent les mauvaises attitudes des populations et vice versa !
Avec tant de partis politiques, qui reçoivent le financement public, s’ils jouaient bien leur rôle, les États seraient à l’abri de la faillite, de la mal gouvernance. Cette faillite des États est la preuve que les partis ne jouent pas leurs rôles. Il faut impérativement réformer le système de création et de fonctionnement des partis en inscrivant des actions concrètes comme l’éducation à la citoyenneté, la formation, la mobilisation… dans la réforme globale de notre système démocratique, propose le responsable politique.
« L’aide publique n’est pas gérée de façon convenable par les partis politiques. S’il y a eu un coup d’État en 2012, un autre en 2020, c’est parce que les partis politiques n’ont pas joué quelque part leur rôle par rapport à l’aide reçue : former, éduquer, sensibiliser, mobiliser pour renforcer la démocratie et la gouvernance. Ils n’ont pas fait face à leur mandat premier, qui est celui d’instaurer le respect de la démocratie et la bonne gouvernance, le respect de la séparation des pouvoirs et le respect des Institutions de la République », souligne un observateur des élections et la Bonne Gouvernance. « Il y a un divorce entre la classe politique et la population. Dans ce contexte de divorce, lors des élections, les gens disent qu’il vaut mieux prendre 1000 FCFA ou 2000 FCFA, pour voter, car lorsqu’ils sont élus députés, ce n’est pas sûr de les revoir avant les prochaines élections prévues dans cinq ans », poursuit-il.
Une analyse du comportement des formations politiques ayant bénéficié de la subvention de l’État, pour le financement de leurs activités laisse croire qu’elles n’accomplissent pas leurs missions d’information, d’éducation, de sensibilisation et de propositions de solution de sortie de crises.
Le Niger, le Mali et le Burkina sont régulièrement mal classés en termes d’indice du développement humain. Aujourd’hui, ils font face à d’énormes défis sécuritaires et de la lutte contre la mal gouvernance, la corruption, des dangers pour la démocratie. L’impunité dont jouissent certains politiciens, crée la rupture de la légalité et de l’égalité des citoyens devant la loi. Dans cette optique, la responsabilité à part entière, des partis politiques, est engagée tant au Mali, au Niger qu’au Burkina Faso. Leur implication dans la gestion hasardeuse du pouvoir, compromettant les bienfaits de la démocratie, font qu’il est absolument temps de solder les comptes des fossoyeurs et de bâtir des États viables.
B. Daou