Les crises maliennes, fondamentalement politiques et sécuritaires, ont culminé à partir de 2012 faisant du Mali un Etat failli. C’est la déliquescence du pays que le président Modibo Kéita de l’US-RDA (Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain) a conduit à l’Indépendance, le 22 Septembre 1960, après l’éclatement de la Fédération du Mali (Sénégal-Soudan) en août de la même année. Qu’en est-il de sa reconstruction ?
«Kèlè dé yé Mandé ci, kèlè dé bè Mandé Jô», disent les traditionalistes.
Demeurant indissociable du Mandé, espace géographique et culturel, représentant les racines de son peuple, le Mali doit-il toujours refléter le Mandé d’antan, fait de royauté, de sujétions et de libertés contrôlées?
Est-ce toujours par la guerre qu’on peut reconstruire ce qu’elle a détruit? C’est la question des choix stratégiques actuels pour la préservation sans faille des intérêts du peuple et du bien-être individuel et collectif des Maliens, tout en préservant notre dignité dans le concert des nations.
Alors que l’aire géographique reste la même, les temps ont changé, les pratiques aussi, celles-ci s’adossant désormais aux connaissances scientifiques (sciences sociales et techniques) à la technologie assez récentes dans ce monde de la savane et des forêts sahéliennes. Il y a en effet, une profonde mutation des sociétés, des pensées et de la nature des relations internationales.
En bon Mandéka, et d’ailleurs en sociologue, on peut concevoir que la reconstruction passe par la destruction (il faut casser pour reconstruire ou rénover un bâtiment; une nouvelle loi abroge toutes dispositions antérieures contraires), on ne peut reconstruire par la guerre, qu’en parvenant à casser les rapports de force antérieurs entre les parties au conflit (en contradiction). La formule sacrée de Karl Marx est «l’évolution dans la lutte des contraires», traduite dans le discours socio-politique par «seule la lutte paie». En guerre de reconstruction nationale, quelles sont les forces conflictuelles actuelles au Mali, et quels sont les types de conflit ?
On peut dire que les crises maliennes sont fondamentalement politiques et sécuritaires et que de celles-ci découlent plusieurs autres d’ordre social, économique et culturel. C’est dire que ces conflits politiques et sécuritaires ont d’innombrables ramifications aux effets toxiques sur la société malienne, l’économie du Mali, l’éducation et la culture, la santé, l’environnement.
Depuis la recrudescence des crises politiques et sécuritaires (qui ont culminé à partir de 2012) le Mali est un Etat failli. Celles-ci sont responsables de la déliquescence du pays que le président Modibo Kéita de l’US-RDA (Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain) a conduit à l’Indépendance, le 22 Septembre 1960, après l’éclatement de la Fédération du Mali (Sénégal-Soudan) en août de la même année.
Cette crise politique marquée par des contestations électorales et post-doctorales, met en scène pouvoir et opposition, mais aussi les composantes de la classe politique entre elles (Mouvement démocratique et héritiers de l’UDPM, Pouvoir IBK et «Antè A bana» lors de son premier mandat, puis M5 RFP au second mandat…) d’une part; elle met également aux prises des composantes de la classe politiques et les militaires au pouvoir, d’autre part. C’est le cas en 2012 du Front uni pour la Sauvegarde de la Démocratie et la République (FDR) opposé au Comité national pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNDRE) présidé par le Capitaine Amadou Aya Sanogo. Également, mais sans la même ampleur, les partis et associations politiques signataires de la déclaration du 31 mars 2024 opposés au pouvoir de transition dirigé par le Général d’Armée Assimi Goïta, chef de l’Etat. Pendant ce temps, la crise sécuritaire oppose principalement les Forces de Défense et de Sécurité du Mali (FDSM) aux groupes armés rebelles (groupes signataires de l’ex accord d’Alger) et aux groupes armés terroristes (Ansar Dine, GSIM, FLA, Etat Islamique, Katiba Macina et autres) même s’il y a des situation conflictuelles opposant des groupes armés entre eux (avec des allégations d’implication des FDSM).
Gênants politiques pour les militaires
En regardant la dynamique des autorités de transition, vent debout face aux partis et associations à caractère politique, la situation traduit une guerre ouverte contre certaines pratiques politiques, imputables à la majorité des partis politiques, au pouvoir comme dans l’opposition au cours des dernières décennies.
Pour l’atteinte de ses objectifs de refondation, en vue de la reconstruction nationale, le pouvoir de transition a opté pour la dynamique totalitaire, c’est à dire se battre doublement sur les fronts sécuritaire et politique, deux guerres majeures ayant conduit respectivement à la suspension des activités des partis et des associations à caractère politique, puis à leur dissolution pure et simple, après avoir abrogé la charte des partis politiques. En clair, on a assisté à la neutralisation en règle, des partis politiques et des associations à caractère politique (dissolution en terme juridique). L’effet immédiat recherché de cette dissolution est le changement radical des rapports de forces en présence, en cassant littéralement les moyens d’actions des adversaires politiques, pour les reconstruire en faveur du pouvoir de transition, afin de rouler librement sans écueil majeur vers les objectifs fixés par les Etats et la Confédération AES. Concomitamment, au niveau sécuritaire se poursuit le nettoyage des bases terroristes (les sanctuaires).
S’il est vrai que les partis n’arrêtent pas les combinaisons politiques autant qu’ils existeront, leur dissolution est une mesure extrême qui ne laissera pas le choix, la seule alternative qui reste étant les activités dans la clandestinité, tout comme le risque de glissement dans les sociétés secrètes (illégales soient elles), pour ceux des acteurs politiques qui s’inscriront en faux contre la politique de refondation de l’Etat et de libération nationale, indissociable au respect de la souveraineté nationale et des intérêts vitaux du peuple malien, prônée par les autorités de la transition.
Si tous les chemins mènent à Rome, celui du «Mali kura» emprunté par le pouvoir de transition, pour atteindre la stabilité et le développement du pays, semble périlleux pour des acteurs politiques, qui marquent leur refus à l’emprunter. Le Général d’Armée Assimi Goïta, président de la Transition, chef de l’Etat et ses compagnons d’armes n’emprunteront pas non plus la navette politique conduite par des acteurs politiques, parce que celle-ci pouvant échapper à tout contrôle et déraper en plein vol. Face à ces enjeux politico-sécuritaires, la seule option qui vaille est la destruction des navettes politiques, telle que recommandée par les assises nationales. Mais la nature a horreur du vide, sait-on. Par quoi va-ton remplacer les partis dissouts? Sans être dans les secrets, les spéculations vont bon train. A leur place, un nouvel appareil en confection au laboratoire et portant la marque ‘’made in C- AES’’. Il pourrait s’agir d’un appareil politique calqué sur le genre «Rassemblement Démocratique Africain (RDA)», créé lors du Congrès de Bamako en Octobre 1946 par des chefs d’Etats africains.
Ce qui consiste à déstructurer l’environnement politique, réduire les partis politiques actuels et conduire à une recomposition à la dimension de la confédération des Etats du Sahel, en érigeant sur leur cendre, un seul grand parti politique, qui aura ses sections dans les Etats à l’instar du Rassemblement Démocratique africain (RDA) de l’Ivoirien Félix Houphouët Boigny, du Malien Modibo Kéita, du Sénégalais Léopold Sédar Senghor. Les pères des Indépendances nationales qui ont poursuivi leur volonté de se rassembler ont échoué, la Fédération du Mali, réunissant le Soudan et le Sénégal, a juste eu le temps de se mettre en place avant de sombrer au bord de l’Atlantique. La Fédération du Mali est morte, vive la Confédération AES!
Les sections du Parti du Rassemblement confédéral du Sahel (PRCS) pourraient avoir le temps de s’implanter dans les pays respectifs pendant les cinq ans de prolongation accordés aux différents présidents de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) pour les porter au pouvoir par voix d’élections transparentes. C’est ce que présage la dynamique consécutive à la dissolution des partis politiques, étant entendu qu’un pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne peut être dirigé sans une organisation politique structurée de la dimension du parti politique. Wait and see!
Lointain et éternel mirage
Les démocrates maliens engagés dans des associations et organisations corporatistes ont convaincu les Maliens en 1990-91. La ferveur révolutionnaire l’effervescence populaire a eu raison du pouvoir du Général Moussa Traoré, mais l’espoir suscité par le multipartisme intégral en échange du parti unique, et qui a valu l’engagement des jeunes, des femmes, des couches socio-professionnelles, les promesses politiques, ont fondu comme beurre au soleil. La démocratie multipartite promise s’est muée en démocratie-électoraliste, de surcroit frauduleuse-à qui mieux mieux. La volonté populaire a été spoliée par la confiscation et le tripatouillage des résultats des urnes, le vote multiple ou le bourrage des urnes, l’achat de conscience. Conséquences immédiates: recours, contestations post-électorales, conflits politiques, manifestations de rue, instabilités politiques. Conséquences à court et moyen termes: négociations politiques, compromis politiques excluant l’électeur en écartant son bulletin de vote (inutile élection); dans la gestion des affaires publiques, clientélisme, favoritisme, népotisme, corruption, enrichissement illicite. Comment comprendre ces pratiques de certains acteurs politiques quand on sait que les partis recevaient des financements publics pour former, sensibiliser, participer à l’exercice démocratique et à la formation d’une opinion nationale alerte?
L’absence de formation politique des cadres et des militants des partis politiques a causé des torts au pays: ils se sont installés à demeure dans la fraude, a dit le président de la Cour constitutionnelle feu Salif Kanouté.
Au cours des trois dernières décennies, la démocratie pluraliste a fait preuve d’innovation en mettant en place certaines institutions et en adoptant des textes bien inspirés, mais qu’en est-il du fonctionnement de ces institutions et de la mise en œuvre des textes élaborés et adoptés? Qu’en est-il du contrôle parlementaire de l’action gouvernementale? La démocratie pluraliste, sans être en cause elle-même, a été un échec patent des acteurs politiques, qui ont mis en avant les intérêts particuliers et partisans aux dépens de l’intérêt général et du bien-être des populations. Certains se sont servis à la pelle et on ne compte plus les fonctionnaires milliardaires. C’est à juste titre que le gouvernement de transition a adopté un arrêté interministériel pour l’identification des bénéficiaires effectifs des personnes morales au Mali, pour assurer la transparence dans les sociétés et lutter contre l’enrichissement illicite.
Cependant les mauvaises pratiques dans la gestion des affaires publiques sont-elles mises devant le ralentisseur, malgré la transition ? Que non! Le Bureau du vérificateur (BVG), l’Office central de Lutte contre l’Enrichissement illicite (OCLEI), la Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) ont toujours du pain sur la planche, rapportant des détournements de deniers publics et transmettant des dossiers au procureur du pôle économique. En outre la déclaration obligatoire des biens des assujettis restent lettre morte.
Cependant des lueurs d’espoir comme il y en a toujours. Au niveau économique deux secteurs nouvellement reformés concourent à renflouer les caisses de l’Etat. Il s’agit d’une part du secteur minier avec le relèvement de la part du Mali dans les revenus de l’exploitation des mines, à 30 % et la prise en compte du contenu local; et d’autre part du secteur fiscal avec l’identification des bénéficiaires effectifs des personnes morales au Mali. Et last but not the least, la projection du traitement par le Mali de l’or produit au Mali.
B. Daou