Le CNID-FYT célèbre son 31ème anniversaire les 25 et 26 mai 2022. Pour la circonstance, Le Républicain et Laviesahel.com publient une interview exclusive et à bâton rompue de Me Mountaga Tall, président du Congrès national d’Initiative démocratique – Faso Yiriwa Ton (CNID-FYT), ancien ministre et ancien député. Il parle sans détour de la lutte pour la démocratie au Mali, de classe politique malienne, des élections, de la gouvernance, du M5- RFP, de la transition, du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga et de ses camarades. A lire absolument !
Laviesahel.com et Le Républicain : Quelle lecture faite-vous de la situation politique actuelle ?
Me Mountaga Tall : Le Mali est en crise et une crise est toujours la conséquence d’actes posés, acceptés ou rejetés. En l’occurrence, nous sommes à 62 ans d’indépendance. En 62 ans, nous avons connu trois ruptures de l’ordre constitutionnel dont deux depuis l’instauration de la démocratie dans notre pays. On doit s’interroger sur ce qui s’est passé. Aujourd’hui quand on écoute l’appréciation du Malien, il met en cause soit les acteurs du Mouvement démocratique, soit la démocratie elle-même en tant que système, soit la classe politique dans son entièreté : « politiki mokow ». Ces reproches ont tous une part de vérité, mais n’épuisent pas le débat, ne sont pas exhaustifs et quelques fois, généralisent tellement que des spécificités échappent aux observateurs.
Que voulez-vous dire, quelle est l’autre part de vérité qui échappe ?
Prenons chacune de ces catégories mises en cause. D’abord le Mouvement Démocratique, parce que c’est par lui que la démocratie a été instaurée dans notre pays. Je dis toujours qu’il faut distinguer un certain nombre de choses : Comment la démocratie a été instaurée dans notre pays, c’est-à-dire le processus qui a conduit au 26 mars ? Le Mouvement démocratique en tant que tel, quel est son bilan ? Pendant combien de temps, il a géré le Mali ? Les régimes politiques qui se sont succédé au Mali ; et la démocratie en tant que concept et système. Quand on écoute les critiques, on a l’impression que le Mouvement démocratique et ses acteurs sont au pouvoir au Mali depuis mars 1991. Ce n’est pas vrai. Parce que le Mouvement démocratique a géré le Mali pendant la première transition, c’est-à-dire du 26 mars 1991 au 8 juin 1992, date à laquelle un président élu a prêté serment et a pris fonction. Dans ses gouvernements, dans sa gouvernance, le Mouvement démocratique n’était pas toujours présent. Pendant ses 10 ans, sur plus de 9 ans, des composantes essentielles du Mouvement démocratique étaient dans l’opposition parlementaire comme extraparlementaire. Cette opposition a dénoncé la gestion globale et est allée dans les détails, en s’opposant au parlement, dans la rue, les journaux, les télés et devant la justice.
Pendant ce temps, une partie du Mouvement démocratique était au pouvoir ?
Disons des personnes issues du Mouvement démocratique, qu’il ne faut jamais confondre avec le Mouvement démocratique. Des personnes issues du Mouvement démocratique étaient au pouvoir et des personnes issues du Mouvement démocratique étaient dans l’opposition. A partir de ce moment, on ne peut pas dire que ce que le pouvoir agissait au nom du Mouvement démocratique. Le 9 juin 1992, le Mouvement démocratique n’était plus aux affaires. Et si on doit faire son bilan, il faut le faire du 26 mars 1991 au 8 juin 1992. Ce bilan n’est pas parfait, mais il est honorable. Il a permis de poser les fondements d’un Etat de droit, d’un Etat démocratique. Tout n’était pas parfait. J’étais de ceux qui ont contesté la manière dont les élections se sont passées et les résultats des élections, mais le fondement (ce n’est pas l’édifice) était posé. Il appartenait aux régimes qui se sont succédé après, de l’édifice et c’est là que les critiques sont les plus fortes.
Parce que les divisions des acteurs du Mouvement démocratique, n’ont pas permis de faire l’édifice souhaité ?
Disons les contradictions fortes entre les acteurs, parce que lorsqu’ on parle de division on se trompe. Le Mouvement démocratique n’a jamais été une seule entité. Le CNID association avant de naitre a rapproché ceux qui ont fait l’Adema en leur disant : venez, nous allons faire quelque chose ensemble. Ils n’ont pas accepté. Le CNID a été créé et une semaine plus tard, l’Adema a été créé. Il n’y a jamais eu d’unité organique et toutes les tentatives pour cette unité organique ont échoué. Ce n’est pas parce qu’il y a eu, après la transition, quelques acteurs qui sont allés dans l’opposition et d’autres dans la majorité, qu’on peut parler de division. Ce sont des contradictions sur la manière de gérer le pays qui ont été mis sur la place publique et cela d’ailleurs est très intéressant car on ne peut tenir quelqu’un comptable de ce qu’il a dénoncé et combattu en payant le prix fort. Parce que quand on paie le prix de sa liberté, on ne peut pas donner autre chose en plus que sa vie. Quand on a risqué sa vie, il n’y a plus rien d’autre à donner.
Comment expliquez-vous ces contradictions jusqu’à l’émiettement du Mouvement démocratique ?
On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. L’objectif premier du Mouvement Démocratique était le pluralisme démocratique. Le pluralisme dans tout ce que l’on fait. Mais quand on vit le pluralisme démocratique, vous demandez quoi ? Qu’il y ait plusieurs syndicats, plusieurs partis politiques, plusieurs associations, plusieurs organes de presse etc. Et quand cette éclosion se fait, ça ne s’appelle pas division, ça s’appelle printemps démocratique. C’était cela l’objectif.
Mais quand l’Adema s’effondre et que le CNID éclate…
Là, vous parlez d’autres choses. On parlait du pluralisme. Maintenant parmi les entités qui ont été constituées, pratiquement, tous ont connu des crises. Au niveau des syndicats, aujourd’hui, il y a 4 centrales syndicales au Mali au lieu d’une. Il y a plusieurs milliers associations aujourd’hui. Quand vous prenez les partis politiques, il y a eu beaucoup de scissions, de crises et autres. Pour aller au fonds des choses, je prends le cas du CNID. Le CNID a connu une crise en 1994 qui a donné naissance au PARENA, après le CNID a connu une accalmie et n’a plus connu de crise. Mais le PARENA qui est sorti de CNID a connu plusieurs crises. Il a vu naître le BARA, le MODEC, SADI…
Ceux qui ont créé SADI, Cheick Oumar Sissoko et Oumar Mariko étaient-ils du PARENA ?
Ils ont quitté le CNID au moment où se créait le PARENA. Je disais, le CNID a connu une crise, ceux qui ont créé la scission au CNID ont connu beaucoup de scissions en leur sein. L’Adema a vu naître le MIRIA, l’URD, le RPM. L’US-RDA encore plus en son temps.
Le CNID a connu des crises : des démissions collectives, le départ de Ndiaye Bah et autres…
Ah non ! N’Diaye Bah a démissionné, il est parti dans un autre parti, il n’a rien créé. Une démission personnelle n’est pas une scission. Le CNID n’a connu qu’une scission, pas deux contrairement à ce que l’on dit. Mais quand on veut exagérer les choses, on prend une personne, on dit que c’est le cœur battant du CNID. Mais qui a quitté le CNID pour avoir une position plus enviable que celle qu’il avait au CNID ? Ce sont des faits à constater, à analyser.
Est-ce qu’on peut arrêter avec cet émiettement de la classe politique en plus de 200 partis politiques et se rassembler, s’unir, pour s’occuper du Mali ; arrêter les querelles politiques qui sont pour des positionnements personnels et non pour le Mali ?
Je parle de ce que je sais. On ne peut pas accuser le CNID ou Mountaga Tall d’avoir contribué à cet émiettement. Nous étions là parmi les premiers. Je pense que le multipartisme intégral n’est pas en cause. Il existe dans beaucoup de pays où il n’y a pas autant d’émiettement ou autant de partis. Les lois adoptées au Mali dans le cadre du multipartisme intégral ont été laxistes et permissives. On se lève un matin, on dit qu’on crée un parti, on va squatter une salle de classe pendant les vacances ou un après midi, on sort avec des documents, on va au ministère chercher un récépissé qui rapporte une moyenne de 500 000 FCFA par mois.
Avec l’aide publique aux partis politiques ?
Il faut avoir une concertation approfondie avec les partis politiques pour leur expliquer que 250 partis politiques n’arrangent aucun parti. 250 partis politiques, crée le dégout des partis politiques, amène le clientélisme, le blocage du bon fonctionnement des institutions. Qu’est-ce qu’on peut imaginer ensemble afin que les partis soient amenés à se regrouper. Il faut définir des critères. Je prends un exemple : si demain on dit pour qu’un parti puisse exister il faut qu’aux prochaines élections qu’il obtienne au moins 20, 30 ou 50 conseillers municipaux. On n’aura indexé aucun parti politique. Mais en appliquant ce critère aujourd’hui, on n’aura pas dix partis politiques. Les partis se mettrons donc d’accord pour former de grandes entités.

Et c’est là votre proposition ?
C’est juste un exemple. Moi j’ai des propositions plus élaborées, plus structurées, qui ne vont pas dans le sens de l’exclusion, du mépris pour ce qu’on appelle les « petits partis », mais d’une approche consensuelle inclusive, qui nous permettrait d’avoir un nombre de partis politiques acceptable pour les Maliens et bénéfiques pour les partis.
Le Mali compte plus de 230 partis politiques, le multipartisme et la démocratie ne sont certainement pas en cause, mais les hommes politiques ?
Ah bien sûr ! Je me demande si un observateur, un journaliste a été plus sévère avec les hommes politiques que moi. J’ai dénoncé toutes ces tares, la corruption, le népotisme, les trahisons, les retournements de veste, les ambitions personnelles, l’absence de souci du pays, l’accaparement, ce ne sont pas des inventions, mais la réalité. Mais je dis aussi ; attention, car dans la classe politique, comme chez les avocats, les enseignants, les journalistes, les médecins, partout, il y a du bon et du mauvais. Ce avec quoi je ne suis pas d’accord, c’est de généraliser, dire que « politiki moko chi magni (tous les hommes politiques sont mauvais), cela n’est pas vrai. C’est pourquoi je dis qu’il faut examiner chaque cas, prendre chacun, et pour ceux qui ont assumé des responsabilités, les faire passer par le « scanner politique », que l’on sache ce que chacun a fait, ou ce que l’on n’a pas fait que l’on devait faire. C’est à partir de ce moment qu’on va faire le bon tri. Mais il ne faut pas accuser tout le monde, ce n’est pas juste. An bè non do, (nous sommes tous coupable), ce n’est pas vrai. On ne peut pas s’être opposé à quelque chose, avoir payé le prix fort, et accepter que ce soit sa responsabilité. Il faut comprendre ceux qui refusent d’endosser cette responsabilité, surtout quand ils disent comme c’est mon cas, j’ai 31 ans de vie politique, dites-moi une faute grave que j’ai pu commettre, en termes de corruption, d’atteintes aux biens publics, de mauvais comportement, et j’arrête ma vie politique. J’arrête !
Vous êtes comptable de la responsabilité collective de la classe politique ?
Non ! La responsabilité collective n’existe pas. Dans la responsabilité collective, il y a la part de responsabilité individuelle de chacun qu’il faut chercher.
Pourquoi la classe politique ne forme pas assez ses cadres et militants, n’initie pas des activités de formation d’ampleur des Maliens pour relever le niveau de la citoyenneté, comme le recommande la charte des partis politiques, former politiquement à faire le bon choix parmi les candidats en lice, à éviter et empêcher la fraude, cette éducation civique ne se fait pas assez …
Attention ! attention ! attention !…
… Ça ne se fait pas assez, pas assez !!?
… Attention ! attention ! …
… Les acteurs politiques ont préféré empocher l’argent de l’aide publique et ne pas faire la formation, conséquence les citoyens n’interpellent plus, donnant l’impression de ne pas être conscients de ce qu’ils font en participant massivement à la fraude ?

En fait, je crains que par un populisme ambiant, on n’enterre ce qui reste de viable dans notre pays…
Ce qui reste de viable, qui est ?
On dit que les partis politiques ne font pas l’éducation civique comme il faut. Mais quand on a fini de dire ça et qu’on veut être rigoureux, on doit aller voir les partis pour savoir ceux qui le font et ceux qui ne le font pas. Je ne peux pas me lever pour dire que les journaux maliens ne font que des fake-news, parce que ce n’est pas vrai. Il y en a qui le font, il y en a qui en vivent, il y en a qui ne le font pas, qui sont sérieux, qui vont chercher la bonne information. La classe journalistique n’est pas pourrie, il y a des ripoux parmi les journalistes. Une généralisation est toujours abusive. Quand on a fini de poser tes principes, on creuse. Ce que je reproche, c’est qu’on ne creuse pas après, on se complait dans la paresse intellectuelle de dire qu’ils sont tous comme ça. Tous les journaux du Mali ne sont pas pourris, mais la quasi-totalité est pourrie, tous les partis politiques ne sont pas pourris, la quasi-totalité est pourrie, des partis politiques ne font pas de la formation au Mali, certains partis en font, mais pourquoi dites-vous toujours qu’aucun parti ne le fait, sans avoir procédé à des investigations pour savoir si au moins, des partis le font… Quand on dit la classe politique, ce n’est pas vrai… les généralisations sont excessives, il ne faut jamais dire qu’il n’y a rien de bon dans une catégorie socio-politique, fut-elle politique, journalistique, de santé. Car cela s’appelle le populisme. C’est mon seul problème. On généralise abusivement. On jette le bébé avec l’eau du bain. On frappe tout le monde avec le même bâton, on ne fait pas de tri… On confond tout, on ne trie pas, on ne sélectionne pas, et in fine c’est quoi ? On veut vaille que vaille discréditer toute la classe politique. Et ceux qui le font, vous savez ce qu’ils font juste après ? Ils courent pour prendre la place de la classe politique. On a des noms. Ils courent pour être ministres, ils courent pour être au CNT, c’est-à-dire députés, peut-être parce qu’ils pensent qu’ils ont fini de discréditer la classe politique, ils courent pour être maires.
Dites-nous ce que votre parti fait en termes de formation ?
Mais nous, chaque année, avant de déposer nos comptes à la cour des comptes, nous listons les séances de formations que nous avons faites. On invite la presse pour couvrir ces séances de formations. Ça ne se passe pas à huis clos.
Quand la fraude est devenue le principe et l’absence de fraude l’exception, on a l’impression que les militants de la classe politiques qui commettent ces fraudes ne sont pas conscients de ce qu’ils font parce qu’ils ne sont pas formés ?
Mais quand tu as fini de dire ça, il faut ajouter cependant, qu’au prix de ne pas avoir de député, Me Tall a dit en 2020 qu’il préfère avoir zéro député plutôt que d’aller se mêler à la fraude. Il faut le dire, si tu veux être complet, objectif. Je ne suis pas le seul, il y en a beaucoup d’autres dans la classe politique. C’est vrai que la majorité s’est installée à demeure dans la fraude. Je ne le contesterai jamais. Quand j’ai été victime en 2020, dans les bureaux de vote de mon épouse et de mes enfants, j’ai eu zéro voix ; dans mon bureau de vote, j’ai eu zéro voix ; dans le bureau de vote de mon grand frère qui a une Zawia (quand il donne des consignes, les gens le suivent), j’ai eu zéro voix. Moi je suis bien payé pour savoir ce que c’est que la fraude. J’ai fait une motion de censure en 1997 à l’Assemblée nationale pour dénoncer la fraude. Je sais qu’il y a la fraude. Mais, arrêter de dire que politique égale fraude, c’est ce qui n’est pas vrai.
Vous êtes une victime de la fraude comme d’autres, pourquoi dans chacun de vos discours vous n’ajoutez pas un volet ‘’Education civique’’ en invitant à bannir la fraude de nos mœurs ?
C’est important de le dire, mais il y a plus important. C’est qu’il ne faut pas installer un système électoral permissif pour la fraude, il ne faut pas fermer les yeux sur les cas de fraude, il ne faut pas exonérer les fraudeurs et les installer dans les plus hautes fonctions de l’Etat.
N’est ce pas ce qu’il faut dire et répéter chaque fois, que vous soyez à Ségou, Bamako ou Sikasso, pour que ça agace ?
J’ai même la réputation d’être un mauvais perdant parce que je dénoncé la fraude. J’ai été un des premiers à dénoncer la fraude électorale au Mali. Aujourd’hui, quand on se bat au niveau du M5-RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques) pour dire qu’il faut mettre à plat le système électoral, le changer radicalement, c’est par rapport à la fraude essentiellement. C’est parce qu’on est conscient de cela, on y travaille dur, très dur. Notre pays est frappé de sanctions parce qu’on a dit qu’on veut des élections propres. On nous dit, faites des élections quand même ! Nous disons, nous on veut des élections propres. Donc, il ne s’agit pas seulement de le dire, mais de travailler à cela.
N’est-il pas venu le moment de se rassembler aujourd’hui autour du Mali ?
Il y a une phrase que je répète très souvent : « ne nous comptons pas, rassemblons-nous ». Je vais plus loin, le CNID a été créé en 1991 et sa devise est « Rassembler pour construire ». Donc, oui, on doit rassembler surtout aujourd’hui, un pays en crise, qui connait des problèmes, il faut rassembler obligatoirement. Mais rassembler qui ?
Oui, répondez à la question, rassembler qui ?
Rassembler tous ceux qui ont le souci du Mali sans tenir compte de leur nom, de leur ethnie, de leur origine, de leur parcours, de leur race. Mais j’ajoute toujours pour être complet, que rassembler, il s’agit d’être inclusif, mais que l’inclusivité n’est pas l’impunité. Il faut rassembler les sensibilités, toutes les sensibilités qui existent au Mali. Mais cela ne veut pas dire, que si un tel n’est pas dedans, il n’y a pas de rassemblement.
Vous en faites comme critère, d’avoir le souci du Mali, comment l’évaluer ?

Il y a une base, c’est l’amour de la patrie, le patriotisme. Ce ne sont pas les paroles, mais sont les actes posés qu’on évalue. On ne peut avoir pillé les maigres ressources, envoyé des gens au chômage, prendre la part de mille personnes et venir dire que l’on aime son pays. Il y a aussi l’intégrité et la compétence …
Le Panel de l’Adema tenu le 02 avril 2022, était-il un noyau pour un tel rassemblement ?
Je suis allé au Panel et j’y ai dit, que certains d’entre-nous ont été en deçà de tout, ils ont cassé et pillé ce pays, ils en sont redevables, il faut qu’on cherche la responsabilité individuelle de chacun ; que le Mali est dans une situation difficile, rassemblons-nous mais sur des bases de vérité. Pas nous, mouvement démocratique seulement, parce que pour moi, le mouvement démocratique est mort le 8 juin 1992. Mais rassemblons-nous, Maliens, sur la base des trois critères que je viens d’énumérer. Voilà le message que j’ai porté au panel de l’Adema. Je ne suis pas allé pour ressusciter quoi que ce soit. Je suis allé pour restituer une vérité historique, pour indexer des responsabilités, en disant que chacun doit assumer sa part. Par exemple, moi j’ai été ministre, député, j’ai ma part et je l’assume pleinement. Je ne vais pas assumer la part de quelqu’un d’autre.
Le CNID a connu une seule scission, est-ce qu’on peut rassembler le CNID initial aujourd’hui ?
Si je réussis à le faire, je finirai ma vie politique en beauté. Ce qui s’est passé au CNID est connu de tout le monde. Les faits sont connus. Mais je considère que c’est ma responsabilité en tant que premier dirigeant du CNID à l’époque. Entre ce moment et aujourd’hui, j’ai pris trente ans de plus. J’ai pris le temps de réfléchir, d’analyser, de comprendre les choses. C’est pourquoi je me dis, c’était peut-être ma responsabilité pour que cela n’arrive pas. Et aujourd’hui, si j’ai les moyens de recoudre ce tissu déchiré, je suis prêt à payer le prix, de reconstituer la grande famille CNID.
Cela veut dire que vous entreprenez quelque chose dans ce sens ?
Je l’ai fait bien avant aujourd’hui, ça n’a pas été couronné de succès.
Allez-vous remettre ça ?
Il faut dire que ça fait longtemps que je n’ai plus pris d’initiative d’envergure, mais au niveau du parti, nous avons toujours des responsables que nous mettons en mission auprès de tel ou tel de nos anciens camarades. Beaucoup d’ailleurs sont revenus, d’autres non.
Est-ce que vous estimez que les facteurs qui ont occasionné la crise, la scission du CNID, sont surmontables aujourd’hui ?
Oui, il n’y avait pas de problème insurmontable en ce temps-là. Donc, aujourd’hui, on peut bien sûr les surmonter, surtout que le temps a passé. On n’a pas réussi à surmonter un problème ne veut pas dire qu’il est insurmontable. Mais je pense qu’aujourd’hui, chacun a eu le temps de murir, de réfléchir, de comprendre. Je suis convaincu de deux choses : si le CNID avait été entendu, le Mali ne serait pas dans cet état ; si le CNID était resté uni, le Mali ne serait pas dans cet état. Et si nous ne nous étions pas divisés, on serait beaucoup plus fort, on n’aurait pas été marginalisé, on se serait fait encore mieux entendre, sans aucun doute.
Que pensez-vous du rêve de ce journaliste, qui a écrit, qu’il a rêvé d’un huis clos réunissant Tiebilé Dramé et Me Mountaga Tall, chacun essayant de convaincre l’autre, d’accepter de prendre la direction de leurs partis réunifiés, pendant que les militants attendaient à la porte, que la fumée blanche apparaisse ?
Par curiosité, quel journaliste a écrit ça, c’est quel journal ? J’aimerai bien voir ce journal. Je pense plutôt que c’est ce qui fera l’honneur de chacun, ne pas être dans les combats de positionnement. Nous ne sommes pas dans un combat de positionnement personnel. Je ne suis pas dans ce combat et je pense que Tiébilé n’est pas dans ce combat. Le combat de positionnement, honnêtement, je pense que nous, on doit avoir dépassé cela. On peut être en mission, mais, plus besoin d’avoir des ambitions personnelles. Lors du dernier congrès, j’ai dit au CNID que je quittais la direction du parti. Je l’ai clairement dit à un congrès. On s’est opposé, en arguant du pays était en turbulence, et du format du congrès, en période de pandémie avec moins de cent personnes dans la salle. Ce n’est pas possible dans ce contexte de partir, il faut attendre d’organiser un congrès extraordinaire pour s’expliquer devant les militants.
Que pensez-vous de la suspension de Rfi et F24 au Mali ?
C’est vrai qu’il y a beaucoup d’excès, d’injustice, voire de harcèlement que l’on voit contre le Mali. Mais en l’occurrence, je ne vois pas comment et quel outil RFI et France 24 donnent à ceux qui veulent défendre la liberté de la presse, si eux-mêmes, un mois avant, ont fermé les locaux des organes de presse chez eux, coupé les signaux, au nom de la guerre. Au nom de la guerre, ils ont estimé qu’on ne devrait pas dire certaines choses chez eux. Nous, nous sommes en guerre, donc, ils doivent nous appliquer ce qu’ils s’appliquent à eux-mêmes. C’est ce que j’appelle le respect du partenaire, la réciprocité. On ne peut pas dire d’une part, nous, nous sommes en guerre, on ne peut pas nous critiquer, et aller critiquer un autre qui est en guerre et se plaindre de ce que cette personne ait pris les mesures qu’on a soi-même eu à prendre chez soi.
Comment voyez-vous les perspectives pour le Mali ?
Il ne suffit pas de dire toujours que nous avons été grands. C’est vrai nous sommes des descendants des bâtisseurs d’empires. Mais cela nous oblige à rester grands et à être le plus grand. Cela, nous ne l’avons pas fait, parce que notre gouvernance pendant toute la période de l’indépendance laisse à désirer. La classe politique est concernée par ce qui se passe, mais plus que la classe politique, c’est la gouvernance qui est décriée, et elle s’est mal passée. Quand je dis la gouvernance, on pense automatiquement aux gouvernants. Et les gouvernants pendant ce temps, a été la classe politique que je continue à accuser, mais avec la société civile, c’étaient les femmes, en peu de nombre avec les hommes, les jeunes avec les ainés. Et je m’empresse toujours de dire aux jeunes : attention, nous avons eu cinq présidents au Mali, quatre avaient entre 32 et 42 ans, tous des jeunes, IBK seul était âgé. La gouvernance s’est très mal passée et c’est cette gouvernance qui est aujourd’hui décriée. Si on veut éviter que cela ne recommence, il faudra avoir le courage de passer à l’individualisation des responsabilités et des peines. Tant que nous resterons dans la globalité, « an bè non do » (la responsabilité collective), d’autres feront la même chose, en disant je n’encours rien parce que an bè non do.
Il y a une lutte contre l’impunité à mener, la gouvernance doit passer par là ?
L’impunité pour moi ce n’est pas seulement économique, financier, elle est politique aussi. Elle me ramène à ce qu’on reproche à la France. Tous ces gens qui sortent pour dire : A-bas la France, c’est la France qui est à l’origine de tous nos maux ; moi je ne l’ai jamais dit.
Quelle est notre part ?
Notre part, c’est parce que nous avons accepté de nous mettre à la solde d’intérêts étrangers, quel que soit le prix. Pour moi les responsables, ce sont ceux qui ont accepté de trahir notre pays et de mettre les ressources de notre pays à la disposition d’intérêts étrangers, ceux qui n’ont pas défendu le Mali. Mais quand on dit c’est la France, on oublie le relais local de la France, le « nègre de service ». Pour moi c’est lui le premier responsable ! Pourquoi voulez-vous qu’un dirigeant français vienne défendre les intérêts du Mali, quand la France est en cause ? Pourquoi accepterions-nous de passer par perte et profit le comportement de Maliens, qui ont pris nos intérêts pour les brader à des pays étrangers. Ceci manque de courage. On est élu pour défendre les intérêts d’un pays, pas pour faire plaisir à un autre pays quel que soit.
Revenant à la nécessité du rassemblement de la classe politique, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’abandonner le clivage Udpm- Mouvement démocratique ?
Je n’ai jamais dit que tous les membres de l’UDPM étaient des pourris, que tous les membres du Mouvement démocratique étaient des saints, que ceux qui sont dans le cadre d’échange sont des criminels, que seuls les membres du CNID sont des anges, non ! Ça ne correspond pas à nous.
Est-ce qu’il doit y avoir un tiraillement entre le Mouvement démocratique et Choguel aujourd’hui ?
Je ne prends pas part à cet affrontement. Je me suis assigné un rôle au M5-RFP, c’est de concilier, de recoudre. Et je continuerais à le faire. La situation est très difficile aujourd’hui. Mais, c’est parce que c’est difficile qu’il ne faudrait pas quitter ce rôle. Au M5 nous ne sommes pas du même parti politique, nous n’avons pas les mêmes parcours politiques, peut-être même que nous n’avons pas les mêmes ambitions, mais pour autant, nous avons réussi quelque chose de fantastique, nonobstant nos différences, nous en avons faites une richesse. Je pense que c’est encore possible.
Un journaliste a écrit son rêve de voir les doyens Ali N Diallo, Issiaka Traoré, Adama Samassékou, prendre l’initiative pour rassembler la classe politique, ramener le nombre de partis politiques, à moins de dix, pensez-vous que cette initiative des doyens est encore possible ?
Notre devise, c’est rassembler. Si quelqu’un se met en mission de rassemblement, il peut compter sur moi. C’est notre devise : « Rassembler pour construire ».
Quels sont les sujets que vous souhaiteriez aborder pour terminer, sur la transition, la primature ou la refondation ?
Je crois qu’on a fait un bon tour.
A quand le huis clos entre Tiébilé Dramé et Mountaga Tall ?
Quand ceux qui organisent cet huis clos nous convoquerons.
Apparemment le huis clos est à l’initiative des intéressés ?
Cela ne se fera pas à coups de baguette magique, mais, je ne vois pas ce qui nous oppose fondamentalement. On a fait tellement de belles choses ensemble pour le Mali. On a écrit certaines pages d’or de l’histoire de ce pays, quand on était ensemble.
Qu’est-ce que Mountaga et Tiebilé se sont dit le jour du PANEL de l’Adema ?

Je ne sais pas pourquoi on pense que Tiébilé et moi avons une animosité particulière. Je ne sais vraiment pas pourquoi. Vous savez, quand j’étais sorti un moment en campagne d’explication, en 1991, le 24 mars, du bureau d’Amnesty International, Tiebilé m’a accompagné à l’aéroport à Londres, où j’ai pris un avion pour Dakar. A Dakar, Amidou Diabaté devrait me trouver là-bas avec une fausse pièce d’identité avec ma photo, mais pas en mon nom, on avait mis le nom de quelqu’un d’autre. Figure-toi que j’ai ce document encore. Ma photo avec le nom de quelqu’un d’autre.
Un pseudonyme ?
Non pas un pseudonyme, j’étais recherché, on ne pouvait pas mettre mon nom, donc je ne pouvais pas rentrer par avion, parce qu’on m’aurait pris. Et j’avais dit que je rentrais. J’ai débarqué à Dakar le 24 mars dans l’après-midi. Amidou devait venir, mais la situation à dégénéré à Bamako, moi je suis arrivé à Dakar, lui il n’a pas pu sortir pour venir me remettre le faux document, pour que je rentre à Bamako. Le soir du 25, Moussa Traoré a été arrêté. On a fermé l’espace aérien, mais moi je devais rentrer. Un chef d’Etat m’a appelé, il n’y avait aucun contact entre nous avant, c’était la première fois, il m’appelle et me dit : « on a vu ce qui est arrivé, on t’envoie un avion », pour m’amener à Bamako. J’ai dit non, merci Monsieur le président, je trouverai la solution. C’était dans la journée du 26 mars. J’ai appelé Bamako. On a ouvert l’espace aérien pour que le vol que je devais prendre se pose à Bamako, un vol Air Afrique. Mon vol s’est posé, je suis descendu, l’avion est parti, on a refermé l’espace aérien. Ceux qui ont travaillé à l’ouverture de l’espace aérien, c’étaient les Diabaté qui étaient là. Celui qui m’a accompagné pour que je prenne l’avion entre Londres et Dakar, en fin de mission, c’était Tiebilé. Il y a des choses qui se sont passées, on ne peut pas les renier, on ne peut pas revenir là-dessus. Je n’ai pas d’adversaire. Il y a eu des incompréhensions à un moment, graves et importantes. Mais le temps panse toutes les plaies.
Lors du PANEL, vous vous êtes salués à distance ?
Non, on se parle, on se parle même avec des petits noms. On a des relations normales, on s’est parlé, peut-être qu’il n’y avait pas de journaliste assez vigilant, mais on s’est arrêté tous les deux, on parlait… il n’y a pas de problème.
Perspectives pour le Mali qui traverse une transition ?
Il faut qu’on se rassemble. Il faut que les Maliens se battent autour d’un certain nombre de valeurs et de principes, de façon ponctuelle : la levée des sanctions, en tenant compte du contexte d’ensemble. Il faudrait que nous puissions tous ensemble dire à nos partenaires : respectez-nous en tant que pays, en tant que nation, nous ne pouvons pas accepter d’être insulté en tant que Mali et en tant que Maliens. Il faut que tous, nous disions cela. Si cela est entendu demandons qu’on lève les sanctions et que nous-mêmes on se mette d’accord ici autour d’un chronogramme, lequel sera dicté par les missions qu’il faut réussir, les défis qu’il faut relever, les contraintes qu’il faut desserrer. Et je sais que c’est à ce prix certainement que nous pourrons éviter les crises cycliques, et faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de coup d’Etat au Mali.
Le mot rassemblement est à la mode, se rassembler pour soutenir la transition, ou pour écourter vaille que vaille la transition ?
Si se rassembler est à la mode je m’en réjouis, c’est notre slogan depuis 30 ans. Les documents du CNID déposés à l’administration territoriale, la devise, c’est « Rassembler pour construire ». C’est pourquoi je dis si le CNID avait été entendu, le Mali ne serait pas dans cet état.
Aujourd’hui, est-il pour soutenir la transition ?
Pour moi, il faut se rassembler autour du Mali, au chevet du Mali, c’est de cela qu’il s’agit. Mais dès qu’on parle d’un pays, d’un Etat, il y a des autorités forcément, sinon on ne parle pas d’Etat, donc si on se rassemble au chevet d’un pays, il faudrait parler avec ceux qui ont en charge la gestion du pays. Vous actez vos points d’accord et vous y travaillez, actez vos points de désaccord qui sont normaux, c’est ça la démocratie et le sens profond du 26 mars. Le reste, les gens se trompent du sens du 26 mars, c’est cela, il faut accepter cela, il faut qu’on se mette ensemble pour ce qui concerne les intérêts supérieurs vitaux de notre pays, il faut que nous respections les différences et que nous respections ceux qui sont différents.
Faut-il un relais à la primature, constatez-vous un essoufflement du Premier ministre Choguel Maïga?
Au niveau du M5-RFP, quand il y a eu le débat pour que le président du Comité stratégique ne soit pas le Premier ministre, et quand il y a eu des déclarations pour dire qu’il faut changer de Premier ministre, j’ai dit une seule chose : il faut évaluer. Il ne faut jamais procéder par oukase. J’ai dit : autant je ne m’associe pas à des demandes de départ sans évaluation, autant, je ne suis pas membre d’un fan club. Évaluons et faisons au mieux pour le Mali et pour le M5-RFP. Nous sommes suffisamment adultes pour pouvoir effectuer cet exercice. Parce qu’au M5-RFP, en dehors de la fonction de président de la République, il n’y a pas une seule grande fonction au sein de l’Etat, qui n’ait été assumé par certains d’entre-nous. Donc, autant faire ce débat en toute sérénité.
Faut-il changer de Premier ministre, Choguel doit-il passer le relais ?
Je ne dis pas qu’il faut un relais, je ne dis pas qu’il ne faut pas un relais, je dis qu’il faut évaluer. Pour évaluer, il y a des outils, des critères.
Vous voulez dire évaluer pour tirer les enseignements, les conséquences ?
Evaluer va de soi. Evaluer l’action du M5, évaluer l’action du président du M5, évaluer l’action du Premier ministre. Au sortir de cette évaluation, on peut dire, il faut appuyer sur tel ou tel endroit, il faut laisser tomber telle chose, il faut étoffer l’équipe, il faut changer le capitaine… Il faut évaluer.
A quand cette évaluation ?
Pour moi, elle doit être permanente. Si nous n’avons pas réussi à le faire, maintenant qu’il y a beaucoup de divergences qui vont sur la place publique, il faut penser à le faire le plus rapidement possible.
Réalisé par Aguibou Sogodogo,
Dansira Dembélé, Hawa Niangaly
Boukary Daou
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